VELO CLUB DE CLAMECY UFOLEP
Interview

Fred Grappe : « Lance Armstrong est un oxymore  »

Par Alexandre Mignot pour http://www.cyclismactu.net
samedi 17 novembre 2012 par vcc ufolep

Entraîneur au sein de l’équipe française FDJ depuis une dizaine d’années, Fred Grappe connait désormais le monde de la petite reine dans ses moindres détails. Observateur attentif de l’actualité cycliste, celui qui officie également en tant qu’enseignant-chercheur au sein de l’Université de Franche-Comté n’est évidemment pas passé àcôté des dernières révélations qui ont mis àmal le cyclisme professionnel. Entre autres, l’affaire Lance Armstrong, l’affaire Michele Ferrari ou bien même l’Omerta. Auprès de Cyclism’Actu, et àl’occasion de ce premier volet d’un long entretien - qui comprendra trois épisodes -, Grappe revient très en détails sur les points cités précédemment. S’il condamne fermement les actes de Lance Armstrong, le scientifique qu’il est, trouve toutefois quelques aspects positifs àtirer de la carrière de l’Américain, pour rappel déchu de ses sept titres sur le Tour de France. Scandalisé par l’affaire Ferrari, le coach de l’équipe du Trèfle s’inquiète également du retour dans les pelotons et àdes fonctions dirigeantes, des bannis et des dopés. Tout en donnant son opinion sur ces différents points, Fred Grappe n’en oublie pas de proposer quelques solutions, qui mériteraient d’être étudiées... Une interview de fond, et sans langue de bois.

( NdA :L’oxymore permet de décrire une situation ou un personnage de manière inattendue, suscitant ainsi la surprise. Il exprime ce qui est inconcevable. Il crée donc une nouvelle réalité poétique. Il rend compte aussi de l’absurde.)

Fred, pour vous, quels sont les points essentiels à retenir de l’affaire Armstrong ?

Le premier point, c’est simplement qu’aujourd’hui, on peut être rattrapé par la lutte antidopage, non pas pendant ses années de compétiteur, mais après. Je pense que c’est le gros point à retenir. La première à qui c’est arrivé, et ça n’a pas été assez dit, c’est Marion Jones. À ma connaissance, c’est la seule athlète à avoir été reconnue coupable, sans avoir été prise. Elle n’a jamais été contrôlée positive. C’est seulement après qu’elle a été démasquée. Quelque part, elle précède Armstrong. De plus, c’est aussi l’USADA qui l’avait fait plonger. Elle est même partie en prison. Il y a donc eu un précédent avant Armstrong qui n’est donc pas le premier. Mais Armstrong, ce n’est pas fini, puisque ça vient de commencer. Il va être jugé, et on ne sait pas ce qui va se passer. S’il y a parjure, on entre dans le pénal ... Quoiqu’il en soit, la chose essentielle à retenir, c’est qu’un coureur qui n’est pas pris durant sa carrière de sportif, n’est pas pour autant invulnérable.

« Celui qui a envie de se doper, il a intérêt à faire ça tout seul »

Le deuxième point, c’est que même s’il n’a jamais été officiellement contrôlé positif, la parole des "petits copains" lui est retombée dessus. Cela veut dire qu’aujourd’hui, celui qui a envie de se doper, il a intérêt à faire ça tout seul, dans un coin, et avec personne. Donc ça va devenir très compliqué. Le troisième point concerne ce qui a été mis en place pour la lutte antidopage. D’un côté, on ne peut pas dire que ça ne marche pas, car c’est sûr que les outils comme le passeport biologique et ADAMS, ça freine. On le voit dans les résultats. Mais il n’empêche qu’à un moment, il faut bien faire comprendre que ce n’est pas parce que l’on n’a jamais été contrôlé positif sur une analyse biologique, que l’on n’est pas un potentiel dopé en puissance. Ça suffit de faire croire ce genre de choses.

Alors, comment faire ? Personnellement, je réitère ce que je dis souvent, à savoir que tant que l’on se cantonnera à faire que des contrôles sanguins, on restera dans cette situation. On ne verra pas tout, ça c’est sûr. Les tricheurs auront toujours une longueur d’avance, on passera à côté d’éventuels dopés. Il faut donc coupler cela avec d’autres méthodes complémentaires ...

Suite à tout ce déballage, comment peut-on évaluer, situer et décrire Armstrong ?

Quitte à choquer, je vais pondérer un peu ce qui s’est dit. Tout le monde jette Armstrong à la fosse aux lions. Vu tout ce qui a été écrit, on observe manifestement qu’il est tombé dans un système assez incroyable. Mais il ne faut pas oublier une chose. Ce système-là, il ne l’a pas mis en place tout seul. Il y a eu des gens autour de lui pour le développer. Principalement un médecin et un manager qui ont optimisé le système. Il faut être conscient que sans tout cet entourage, il n’aurait jamais pu faire tout ça tout seul. On l’oublie trop souvent. Ok, Armstrong a tiré au plus loin les ficelles d’un système qui pouvait l’aider à être performant au niveau biologique. De fait, le jeter lui seul dans la fosse aux lions, quelque part, ce n’est pas honnête. Evidemment, il y a pris part à 100%, évidemment il l’a développé, mais il n’était pas tout seul. On l’a incité, on l’a mis dedans, on l’a aidé, et évidemment, il y a pris du plaisir. Indéniablement, il est le principal coupable, car il avait le droit de dire non. Mais tant qu’on ne punira que le coureur, dans un système de dopage organisé, la lutte contre le dopage n’avancera pas. Alors d’accord, on va dire que l’on suspend à vie le médecin, ou une autre personne. Mais tu as beau suspendre à vie un médecin, cela ne va pas l’empêcher de continuer à préparer un coureur. Cela ne va pas l’empêcher d’agir, on l’a vu avec Ferrari. Il n’a pas besoin qu’on lui dise tu es suspendu ou pas pour continuer à travailler. Par contre, un manager, ce n’est pas pareil. Un manager, il est responsable de son équipe, c’est le patron. A un moment donné, il doit y avoir des gardes fous dans l’équipe, et c’est à lui de les trouver pour qu’il n’y ait pas de dopage.

« Armstrong a fait progresser le vélo »

En revanche, j’aimerais avancer d’autres arguments sur Armstrong. Evidemment, l’homme est attaquable. Ce qu’il a fait est inacceptable. C’est clair et net. Par contre, je vais peut-être m’attirer des foudres avec ce qui suit, mais ce n’est pas grave. Je parle en tant que technicien et scientifique. Il est légitime d’avancer qu’il a fait progresser le vélo dans d’autres dimensions plus louables : au niveau technique, entraînement, matériel. Cela est indéniable. C’est ça qui est terrible. On le jette, et c’est normal, mais peut-être que plus tard, on se rendra compte qu’il a apporté des choses intéressantes au cyclisme. Pour moi, Armstrong est un oxymore. C’est à dire qu’il a développé une dimension complètement pervertie au niveau médical, et de l’autre côté, il a fait entrer le vélo dans une nouvelle aire très technologique, relativement intéressante mais qui n’a jamais intéressée grand monde. C’est une double personnalité finalement. Il a fait un gros travail de recherche au niveau de l’aérodynamisme avec Trek sur le matériel et Nike sur l’importance du textile. Je vais faire un raccourci. On sait aujourd’hui qu’en possédant un matériel et des vêtements optimisés, il est possible de gagner plusieurs secondes au kilomètre en contre-la-montre. Et ça, il faut le dire ! Lui l’a fait lors de ces années-là. Par rapport à l’entraînement, il a aussi apporté des choses intéressantes. Je vais peut-être me faire des ennemis mais ce n’est pas grave. Il a montré que lors d’efforts intenses dans les montées de cols ou dans des chronos, il était possible de tourner les jambes très rapidement. Beaucoup ont associé les cadences de pédalage élevées au dopage d’Armstrong. Mais c’est faux, je le dis haut et fort. Durant les années Armstrong, d’autres coureurs qui ont été pris par la patrouille, des vrais non-grimpeurs, roulaient avec des développements énormes, à 60 tours/min ! On va donc dire qu’Armstrong a gonflé son moteur par le dopage, mais il a optimisé la régulation de son moteur. C’est à dire qu’il ne s’est pas contenté de bourriner avec un moteur gonflé, il a optimisé la régulation de son moteur sur-gonflé. Voyez que je vais assez loin dans mon analyse. Aujourd’hui, ce n’est pas problème de rouler à des intensités élevées au seuil anaérobie, en tournant vite les jambes. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui. Les Sky et plein d’autres coureurs, montent les cols et font des chronos en tournant très vite les jambes. Même un cyclotouriste peut le faire s’il s’entraîne. C’est de la technique de pédalage pure et simple, c’est de la coordination musculaire qui permet d’être plus économique à haute intensité.

Ensuite, on sait maintenant qu’il avait certes gonflé le moteur de tous ses équipiers, mais malgré tout, il a réussi à mettre en place un vrai système de stratégie de gestion de l’effort sur une étape. Armstrong faisait le moins d’efforts possibles sur 90% d’une étape, et sur les 10% qui restait, il donnait tout dans le dernier col. Qu’est-ce que font Sky et d’autres équipes aujourd’hui ? Exactement la même chose. Sauf que c’est Armstrong qui a mis en place le premier ce système et qui l’a porté à son paroxysme en écœurant tout le monde avec l’ajout des moteurs suralimentés de ses équipiers. Et le modèle marche très bien aujourd’hui, même sans gonfler les moteurs, car moins tu accélères et plus tu roules en linéaire, moins tu es coûteux. Armstrong avait plusieurs scooters devant lui. Il était tout le temps abrité. C’est ça qui est compliqué avec lui. C’est quelqu’un qui a triché, qui a gonflé son moteur, mais qui évoluait avec une grande intelligence pratique. Peu le disent, mais moi ça ne me dérange pas de le dire. Je ne suis pas là pour le défendre, mais pour analyser, de manière impartiale, le coureur qu’il a été. Mes propos peuvent choquer mais c’est la réalité que je pense. 

« Armstrong aurait pu aller encore plus vite »

Le troisième point est davantage scientifique. Certains vont dire que j’ai cautionné ses performances en montagne. Jamais je n’ai cautionné. Il faut se rappeler que des coureurs comme Marco Pantani, Iban Mayo et d’autres, étaient allés encore plus vite que lui. J’ai toujours dit qu’Armstrong était à la limite du potentiel humain. D’ailleurs, dans un article publié dans Vélo Magazine (septembre 2005) intitulé « Armstrong, une physiologie aux portes du surnaturel » j’explique l’évolution de son potentiel physiologique en relatant les résultats issus d’un article scientifique. Et j’insiste en disant « Avec Armstrong, nous sommes aux limites de la performance humaine ». Quand on regarde ses statistiques dans les montées de cols, il arrive à une limite de Vo2 Max qui est extrêmement élevée. Mais d’autres sont allés plus vite, il ne faut pas l’oublier. Ce que j’ai tendance à dire, c’est qu’à mon avis, il aurait pu aller encore plus vite, mais ça ne lui servait à rien. Il ne l’a pas fait, et il a encore eu cette intelligence. Il a été assez malin pour être à la limite maximale que ce peux exiger un potentiel humain. Sur ses grandes performances, on estime sa VO2max entre 85 et 90 ml/min/kg. Sachant que le maximum mesuré dans la littérature scientifique est de 92, on le savait à la limite. Cela a déjà été mesuré chez quelques sportifs dans le monde, mais pas beaucoup. Donc, il était estimé évoluer à ce niveau. Il était à la limite limite du système, mais il n’est jamais monté à des Vo2Max improbables. Et puis, ça lui servait à quoi d’aller gagner avec trop d’avance ? A part attirer encore plus les doutes ? Chez d’autres coureurs, on a estimé des VO2max proches de 95, voir 100 ml/min/kg. Là, on pouvait se dire non, ce n’est pas possible. Pourquoi Armstrong n’est-il pas monté jusque dans ces limites-là ?

Maintenant, avec le recul, on sait qu’il y a une variable importante qu’on ne maitrisait pas à l’époque, c’est la relation entre la puissance et le temps. Et je tiens à le dire aujourd’hui. Entre une montée de Verbier qui fait 20 minutes, et une montée du Tourmalet qui fait une heure, il y a quarante minutes d’écart. Cet écart de temps pèse significativement dans la puissance développée. On sait aujourd’hui (recherches qu’on effectue depuis quelques années au sein de mon laboratoire à Besançon) qu’on perd en moyenne un Watt toutes les minutes entre 20 et 60 minutes d’effort au seuil anaérobie. En d’autres termes, cela veut dire, pour les non-initiés, que tous les athlètes vont perdre entre 40 et 50 Watts entre une montée de Verbier et une montée du Tourmalet. On commence seulement à maitriser ce paramètre aujourd’hui. C’est pour cela qu’il faut faire attention à ne pas balancer des Watts n’importe comment sans tenir compte du temps de l’effort. La puissance est donc dépendante du temps, en montée. Pour être clair, si tu développes 400 Watts à Verbier, à bloc, tu seras aux alentours des 350-360 sur le Tourmalet. Donc Armstrong a pu aussi bénéficier de ce flou là au niveau scientifique, tout en restant sur des valeurs très élevées.

Donc, le fait que tous les sponsors lâchent Armstrong, c’est justifié ...

Quand tout va bien, tu as toujours du monde avec toi. Certains ont bénéficié de ce système-là, les sponsors notamment. La résonnance Armstrong est quelque chose de très fort au niveau international. Donc évidemment, tous ceux qui étaient reliés à sa personne en ont bénéficié. Mais le jour où l’image ne devient plus bonne du tout, et que la personne en question est jetée dans la fosse aux lions, les gens se retirent. Comme dans beaucoup de systèmes. Ils te lâchent, et ce n’est pas la première fois qu’on le voit.

« l’Omerta peut encore durer des années »

Comment un programme comme celui de l’US Postal a-t-il pu rester secret aussi longtemps ?

L’Omerta, tout simplement. Il suffit de regarder Vaughters, qui en a fait partie, mais qui ne l’a dénoncé qu’il y a peu de temps. Quand les gens sont ensemble, c’est l’euphorie. Tout se passe bien. C’est un microcosme le milieu du vélo. Et il faut bien s’imaginer que quand ils gonflent leur moteur sur une épreuve comme le Tour de France, ils ne vont pas aller en parler à gauche et à droite. Et puis, ils gagnaient des courses, de l’argent etc ...

Mais personne n’en a eu écho et aurait pu le dénoncer ?

C’est un peu sorti, via notamment Landis et d’autres coureurs par la suite. Mais souvenez-vous comment Landis a été traité lorsqu’il a dénoncé le système. Qui l’a soutenu ? Mais ensuite, les langues se sont déliées ; c’est sorti tout doucement. Mais l’Omerta peut durer des années, et certains sont encore dedans aujourd’hui et occupent des postes importants au niveau du cyclisme.

« Ferrari n’était ni plus ni moins qu’un médecin-dopeur. Et il le restera »

Si on passe au cas du docteur Ferrari. En tant qu’entraîneur, qu’en pensez-vous ?

Justement, la première chose que j’ai envie de dire, c’est qu’un médecin, ce n’est pas un entraîneur. Il faut arrêter de penser ça. D’ailleurs, les médecins honnêtes vous diront que dans leur formation médicale, il y a très peu de physiologie de l’exercice, et ils n’ont pas de cours sur l’entraînement sportif. C’est un métier d’entraîner. Pendant des années, on a utilisé et galvaudé le mot « entraîneur » en l’associant à certains médecins véreux alors qu’ils n’occupaient absolument pas cette fonction. C’est ça qui est terrible et grave. Et ça ne choquait personne… sauf bien évidemment les vrais entraîneurs. L’entraînement, c’est un vrai métier louable. L’entraîneur, c’est celui qui guide, qui essaie de comprendre le fonctionnement du sportif. Du coup, pour cacher le véritable système de dopage, certains ont accolé à coté de médecin, le mot entraîneur. Médecin-entraîneur, ça devait mieux passer ! Or, la réalité était tout autre puisque c’étaient davantage des médecins-dopeurs. D’ailleurs, Armstrong lui-même disait qu’il avait un entraîneur, qui n’était pas Ferrari. Quoiqu’il en soit, cela m’a toujours choqué. Un entraîneur n’est pas médecin. Et pour les entraîneurs, c’est une sorte d’usurpation de prérogatives. A moins que le médecin possède ses diplômes d’entraîneur... À vérifier. Quant aux programmes d’entraînement de Ferrari, on ne les a jamais vus, il ne les publie pas. Pourquoi ? Il a peur de quoi ? Moi qui suis entraîneur, et je ne suis pas le seul, je peux certifier qu’il n’y a rien de secret là-dedans. Le même programme d’entraînement que tu vas donner à deux athlètes différents n’apportera pas le même résultat, pas la même réponse. Il faut le savoir. Donc, les gens qui cachent, c’est louche. Evidemment, on peut ne pas tout dire, mais mettre cette étiquette d’entraîneur à Ferrari, c’est complètement incroyable. Il n’était ni plus ni moins qu’un médecin-dopeur. Et il le restera.

Tout ça parait si bien organisé, si massif, d’une telle envergure avec tous les coureurs qui ont été cités. Ça en deviendrait presque mafieux ...

C’est mafieux. C’est un système mafieux, tout à fait. Cela va même plus loin puisque, à priori, il y aurait des sociétés off-shore, du blanchiment d’argent. Cela s’assimile à du grand banditisme.

« Aucun respect pour ces gens-là »

Vous imaginiez tout ça ?

Franchement, qu’il y ait autant de coureurs d’équipes différentes reliés à ce système-là, ça fait peur quand même. Honnêtement, je ne pensais pas. Pourtant ... (il coupe). Non honnêtement, je ne pensais pas. Et là, tu te dis ’c’est grave’. Et moi je ne pardonne pas. Je suis désolé mais je ne pardonne pas. Je n’ai aucun respect pour ces gens-là. Pour moi, ça suffit. En 1998, on a eu l’affaire Festina. On a dit ’on arrête’. Et maintenant, il faut pardonner de nouveau ? Non, ça suffit. Dehors. Il y en a même certains qui devraient quitter leurs fonctions. Pour que le vélo aille mieux aujourd’hui, tous les gens qui ont été mouillés là-dedans devraient quitter le milieu la tête bien basse et ne plus jamais revenir. Qu’ils évacuent. Ils n’ont plus rien à y faire. Plus rien à apporter. Rien.

Face à tout ce déballage, il y a deux attitudes. Celle de Garmin, qui accepte les repentis, et celle du Team Sky, qui éjecte ses membres qui admettent le dopage. Quelle est la meilleure solution ?

Pour ce qui est de Vaughters, si je me souviens bien, il donnait des leçons à tout le monde il y a quelques années. Il disait, ’nous chez Garmin, on fait des prises de sang internes dans l’équipe. On est les seuls à le faire’. Et ça veut dire quoi ? Qu’il faut faire des prises de sang en interne dans une équipe pour être sûr qu’aucun coureur ne se dope ? Je dis stop. Il faut arrêter avec ces discours-là, qui ne font pas avancer les choses. Faire passer ce genre d’informations, ce n’est pas bien pour le vélo, car on est en train de faire croire aux gens que pour être sûr qu’un coureur ne se dope pas, il faut passer son temps à lui faire passer des prises de sang. Stop, c’est dangereux de dire ça, et c’est faux. Cela veut surtout dire qu’il n’a pas confiance en ses coureurs au point de les contrôler sans arrêt en interne. Lorsqu’on manque d’idées, il faut essayer de faire passer de l’information à tout prix pour montrer pattes blanches. Mais procéder ainsi n’est pas la meilleure façon de lutter efficacement contre le dopage.

Le but premier des équipes aujourd’hui devrait être de mettre en place un véritable système de suivi de l’activité des coureurs. Aujourd’hui, le cyclisme est le sport numéro 1 où on peut mesurer un maximum de variables physiologiques et biomécaniques. Et ça ne coûte pas cher. C’est même gratuit. Mais quelles sont les équipes qui optimisent un tel système aujourd’hui ? Quand on enregistre quotidiennement l’activité d’un coureur, quand on le suit au téléphone, quand on le voit en stage, quand on l’observe en compétition, on arrive à le connaître parfaitement. Attention, on n’est jamais à l’abri qu’il se dope. Mais on se rapproche de la tolérance 0 tout de même. Cela il faut le dire haut et fort. Tous les entraîneurs associés à des médecins d’équipe qui font ce travail pourront le confirmer. Car à un moment donné, quand on fait un très bon suivi du coureur, on connait parfaitement ses réponses physiques aux charges de travail et sa qualité de récupération. Ce ne sont pas des réponses qui sont dues au hasard. Elles sont conséquentes à des grosses charges de travail, à du stress physique, à du stress psychologiques. Et quand on connait bien ça, il y a une logique de fonctionnement. A côté de ça, il y a ce qu’on appelle le profil de puissance, que nous effectuons nous depuis quelques années.

« Suivre et valider l’activité des coureurs »

Le profil de puissance, c’est établir les records de performance (puissance) du coureur, d’une seconde, jusqu’à plusieurs heures. Chaque coureur a un profil de puissance qui lui est propre, qui lui appartient et qui valide son potentiel physique intrinsèque. Certains vont dire, et ils ont raison, ’les records, on peut les battre’. Bien sûr qu’on peut les battre, mais quand on établit un profil de puissance depuis plusieurs années, je peux garantir que les records, on ne les bat pas tous les jours. A un moment donné, on atteint des limites physiologiques sur beaucoup de points, et on est toujours proche de ses limites, ou en-dessous de ses limites. Si demain, un coureur bat son record de 10%, il y a deux solutions. Soit la mesure n’est pas bonne, à cause d’un appareil mal calibré. Cela nous est déjà arrivé. Il faut vérifier. Soit, il y a un autre souci... Ça, c’est la réalité. C’est direct, mais ça marche. Aujourd’hui, on n’a pas besoin de faire des prises de sang toutes les semaines pour dire que les gars ne se dopent pas. Appliquons des principes simples et efficaces de suivi du coureur avec du bon sens

 

Attention à une chose importante. Le suivi n’implique pas pour autant de fliquer les coureurs. Le suivi, c’est faire le travail qui consiste à guider, orienter, conseiller, évaluer, programmer l’activité du coureur. C’est un métier à part entière qui devrait être réalisé dans toutes les équipes professionnelles. C’est avoir la capacité de valider l’activité du coureur. Quand quelqu’un travaille dans une entreprise, vous croyez que le patron va lui laisser faire ce qu’il veut ? Soit l’employé pointe, soit quand il est en déplacement, le patron le suit à distance. Alors que dans le cyclisme, certains managers ne savent même pas ce que font leurs coureurs. Je ne mets pas la faute sur les managers, mais sur le système. Je dis haut et fort qu’on est capable, si on le veut, de très bien suivre l’activité d’un coureur, et de la valider. C’est en plus travailler sur la probité sportive du coureur au cours de sa carrière. C’est le message que je veux faire passer. D’ailleurs, l’UCI devrait mettre l’accent sur ce point dans le cahier des charges relatif aux critères d’éthiques sportives. En plus, la mise en place d’un tel système de suivi ne coute pas très cher comparé à l’usine à gaz mise en place pour les contrôles sanguins. Aujourd’hui, nous avons tous les outils qu’il faut pour le faire.

 

« La suspension de six mois seule ne suffit pas »

Mais alors, pour ou contre un grand nettoyage ?

Je ne sais pas si nettoyage est le bon mot à utiliser. Ce que j’ai compris, c’est que si on voulait faire parler les coureurs, il ne fallait pas les punir sur une trop longue durée. Il faut couper la poire en deux. Moi ce qui me gêne, et ce qu’il faut qu’on m’explique, c’est quel intérêt ont ces coureurs qui ont fauté à revenir dans le vélo ? J’entends ceux qui ont fauté après 1998, car à cette date, on était censé repartir à zéro et rebâtir un nouveau cyclisme. Et en 2020, on va dire pareil ? Bon, évidemment, ils ont parlé, on ne leur met que six mois de suspension. Mais qui va les reprendre pour courir ? Ils vont retrouver des équipes … Je me demande quels intérêts ont ces gens à continuer de courir, vu qu’ils ont fauté durant plusieurs années. Je ne comprends pas, à part le fait de gagner l’argent. On ne devrait plus revoir ces gens dans le vélo, dans un poste d’encadrement. Le problème est que la règle de l’UCI concernant ce point s’applique à partir de 2011. Doivent venir dans le milieu du vélo, des gens qui ont quelque chose de positif à apporter. Ceux dont on parle ont été dans le déni, dans la faute. Alors, ok, admettons qu’ils reviennent. Mais faudrait-il encore qu’ils payent une lourde amende, car ils ont volé des victoires et pris de l’argent à plein d’autres coureurs. J’espère haut et fort qu’ils vont verser de l’argent, et que cet argent servira à la formation des jeunes. Dans ce cas-là, je serais d’accord ... La suspension de six mois seule ne suffit pas.

 

« Un observatoire des performances »

 

Peut-on être certain qu’un système comme celui de Ferrari ou de l’US Postal n’existe plus aujourd’hui ?

 

On ne peut être certain de rien aujourd’hui quand on observe ce qu’était le système de l’US Postal. On l’espère ... Mais le problème, c’est que la suspicion sera encore toujours présente demain si on ne met pas en place de nouvelles choses. Pour moi, tant que l’on n’aura pas une validation de la probité sportive du coureur, ce sera compliqué. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, la plupart des gens ne croit plus possibles certaines performances qu’ils voient à la TV. Cela veut dire que même lorsqu’un coureur « négatif » réalisera une grande performance, des doutes seront émis à son sujet. Mais cette performance, elle vaudra quoi sur une échelle de classification ? Lorsque les sportifs font un 100m en athlétisme ou en natation, il y a des temps de référence pour classifier la performance réalisée. On sait où elle se situe. En cyclisme, il n’y a aucun référentiel pour classifier la performance. Imaginons une montée de col dans un Grand Tour. Une grande performance est établie avec panache par un coureur qui gagne. Mais qu’est-ce que vaut cette performance ? On n’en sait rien. Ainsi, il faudrait chaque fois que cela est possible, classifier les performances sur une échelle de valeur. Chacun pourrait ensuite porter un jugement valide. Cela, on peut le faire aujourd’hui. C’est ce que j’évoque depuis plusieurs années à partir de la création d’un observatoire des performances. On peut aujourd’hui classifier les performances, principalement celles réalisées lors des montées de cols. Sur les chronos, c’est plus compliqué, bien que l’on puisse y arriver un jour. Alors de deux choses l’une, soit on continue à avoir des doutes pendant dix ans, soit on utilise des modèles valides qui peuvent nous aider à classifier la performance. Aujourd’hui, dans une montée, on peut classifier une performance comme moyenne, élevée, excellente, sujette à caution et hors-limites... Cela permettrait d’éclaircir les choses, d’éviter les doutes ou suspicions injustifiées et de prouver aux gens que le vélo peut encore avoir un bel avenir. 

 

Propos recueillis par Alexandre MIGNOT

 


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